ÉTATS-UNIS - La réélection de Bill Clinton

ÉTATS-UNIS - La réélection de Bill Clinton
ÉTATS-UNIS - La réélection de Bill Clinton

États-Unis. La réélection de Bill Clinton

La victoire de Bill Clinton le 5 novembre 1996 fait de lui le premier président démocrate réélu depuis 1944. Clinton est aussi, à cinquante ans, le plus jeune président réélu dans toute l’histoire des États-Unis – si son rival Bob Dole l’avait emporté, il aurait été, à soixante-quatorze ans, le plus âgé des candidats à la présidence des États-Unis à être élu. Clinton n’obtient certes pas tout à fait la majorité absolue des voix, et la participation électorale n’a jamais été aussi faible depuis 1928. Pour le Parti démocrate, la victoire de son candidat prend pourtant l’allure d’une revanche, tant il a pu, deux ans plus tôt, redouter la défaite; revanche limitée, cependant, car la Chambre des représentants et le Sénat, tous deux républicains depuis 1994, le restent.

En 1992, l’élection de Bill Clinton n’avait pas été triomphale. Il avait certes battu George Bush, Président sortant, mais par seulement 43 p. 100 des suffrages exprimés, contre 38 p. 100 à Bush. Il est vrai que l’élection avait été triangulaire, et que Ross Perot, candidat indépendant, avait réussi à obtenir 19 p. 100 des voix. Face à un président usé, et qui avait trop misé sur la popularité obtenue grâce à la victoire de 1991 sur l’Irak, Clinton avait mis en avant sa jeunesse et son dynamisme, ainsi que l’attention qu’il portait aux problèmes économiques et sociaux de l’Amérique. «Nouveau démocrate», il n’allait pas étendre le domaine d’intervention de l’État mais réformer l’administration, pour la rendre à la fois plus efficace et moins coûteuse.

Le naufrage des démocrates en 1994

Deux ans après son élection, Bill Clinton et le Parti démocrate subissent une défaite d’une ampleur exceptionnelle: le Parti républicain renforce de 8 sièges supplémentaires sa majorité au Sénat et conquiert la Chambre des représentants, où il gagne 51 sièges. Pour la première fois depuis quarante ans, le Parti républicain détient ainsi les deux chambres du Congrès fédéral; Newt Gingrich, représentant de Georgie, qui a animé la campagne républicaine, devient président de la Chambre des représentants, et compte bien réussir à faire adopter les dispositions essentielles de son projet, le Contrat avec l’Amérique .

Comment expliquer cette déroute démocrate, ce désaveu infligé au président Clinton par un nombre important d’électeurs, ce soutien au Parti républicain malgré le caractère «radical» du Contrat avec l’Amérique ?

Élu comme «nouveau démocrate», Clinton avait pendant les deux premières années de son mandat, comme il s’y était engagé, voulu s’attaquer avant tout aux problèmes de la société américaine. Il avait réussi à limiter le déficit croissant des finances fédérales en obtenant du Congrès des réductions de dépenses – notamment des dépenses militaires en invoquant la fin de la guerre froide – et un accroissement de l’impôt sur les revenus les plus élevés. L’Accord de libre-échange nord-américain (A.L.E.N.A., en anglais N.A.F.T.A.) avec le Canada et le Mexique avait été ratifié. Gérée à la fois par l’exécutif et par le Système de Réserve fédérale, l’économie américaine se portait plutôt bien, et le chômage baissait. La popularité du président n’en bénéficiait pourtant pas.

Bill Clinton avait en effet très vite donné l’impression qu’il voulait atteindre des objectifs contradictoires, qu’il était trop marqué par certaines des idées des militants «libéraux» (de gauche) de sa génération et que dans des domaines importants sa manière de gouverner était inefficace. Il lui avait fallu plusieurs semaines pour constituer son gouvernement. Il était entré en conflit avec le comité des chefs d’état-major, présidé par le général Colin Powell, à propos de sa décision de mettre fin, conformément à sa promesse, à la discrimination contre les homosexuels dans les forces armées. Le compromis finalement adopté n’avait satisfait ni les militants «gays» ni la masse des Américains. L’épisode avait réduit encore plus la crédibilité «patriotique» du président, déjà fortement entamée par son opposition de jeunesse à la guerre du Vietnam et le fait qu’il s’était alors soustrait au service militaire.

Plus important dans la durée, sans doute, a été l’échec de son ambitieux projet de réforme des soins médicaux, dont il confie le pilotage à sa femme Hillary: il s’agit d’étendre la couverture sanitaire à tous les habitants des États-Unis, mais aussi de maîtriser des dépenses dont l’accroissement est préoccupant. Le projet ne cesse de se complexifier et s’enlise; le Congrès ne l’adopte pas, et les républicains l’attaqueront sans pitié lors de la campagne électorale de 1994.

Lors des élections législatives à mi-mandat présidentiel, chaque candidat est habituellement attentif surtout aux préoccupations de sa circonscription. Cette fois, les candidats républicains à la Chambre des représentants rejoignent massivement Newt Gingrich et souscrivent à son Contrat avec l’Amérique . Ils s’engagent à voter dans les cent premiers jours de leur mandat des réductions des impôts et des dépenses sociales, une augmentation des dépenses militaires, l’interdiction de mettre des troupes américaines sous commandement des Nations unies. Ils veulent également voter un amendement à la Constitution pour interdire les déficits budgétaires et limiter à deux ou trois le nombre des mandats parlementaires successifs. Plus pondérés, les candidats républicains au Sénat ne sont pas engagés collectivement par ce texte, mais beaucoup finissent par s’y rallier.

La victoire massive remportée par les républicains est interprétée par eux comme un mandat idéologique. Paradoxalement, son principal bénéficiaire sera Bill Clinton: sans la «cohabitation» à l’américaine qui commence en janvier 1995 entre le président démocrate et les deux chambres à majorité républicaine, il n’aurait probablement pas été réélu en 1996.

L’étrange cohabitation

Président de la Chambre des représentants, Newt Gingrich mène les travaux à un train d’enfer. Les problèmes à traiter se révèlent cependant autrement complexes que ne l’avaient cru les nouveaux élus, et les républicains du Sénat ne sont guère enclins à emboîter le pas à leurs collègues de la Chambre. À la fin des cent jours, presque aucune mesure importante figurant dans le Contrat avec l’Amérique n’a été adoptée, et plusieurs ont été abandonnées. Pendant l’hiver de 1995-1996, à plusieurs reprises, le budget n’ayant pas été voté, le président doit mettre en chômage technique divers services administratifs: les républicains pâtiront d’avoir, par leur obstination, provoqué la «fermeture de l’État».

De son côté, Bill Clinton adopte face à l’idéologue Gingrich le rôle d’un président pragmatique et modéré. Tirant les leçons de la défaite, il adopte une position «centriste». Il n’essaie plus guère de faire voter des programmes sociaux de gauche et accepte beaucoup des lois votées par les républicains: il ne leur oppose pas son veto. Il cherche même, particulièrement au printemps et à l’été de 1996, à se prévaloir de ces lois, alors qu’il n’a fait que les infléchir; les démocrates les plus fervents en sont révoltés et lui reprochent d’avoir accepté, par exemple, la dislocation du système d’aide fédérale aux familles les plus démunies. Mais comment lui refuseraient-ils leurs suffrages, alors qu’il a peut-être évité le pire?

Beaucoup d’études montrent que les électeurs jugent un président surtout sur l’efficacité de son action économique. Si Bill Clinton n’a pas réussi à atténuer les inégalités de revenus, qui restent criantes – mais ce n’est pas le souci premier des Américains –, dix millions d’emplois ont été créés en quatre ans, et les taux de chômage, d’intérêt et d’inflation sont les plus bas depuis l’élection de 1968. Le déficit a été réduit de moitié, la Bourse est au plus haut. La victoire ne peut plus échapper à Bill Clinton, même s’il n’est pas seul responsable du dynamisme retrouvé d’une économie américaine bien gérée.

Dans le domaine international, après une longue période d’indifférence et de flottement, Clinton agit enfin, ou laisse agir, et se forge la réputation d’un président à la fois énergique et raisonnable. Ratification de l’A.L.E.N.A., accords entre Israël et l’O.L.P., intervention en Haïti, accords de Dayton mettant fin à la guerre de Bosnie – ces succès font oublier les bévues de Somalie, les difficultés des rapports avec la Chine et le Japon, les problèmes de réorganisation de l’O.T.A.N. et des rapports avec une Russie introuvable.

À l’hiver de 1995, les chances de Bill Clinton sont devenues bien meilleures: il a été servi par les excès de ses adversaires, mais aussi par sa propre capacité d’adaptation. Qui les républicains vont-ils lui opposer?

La campagne électorale

Quand le président sortant veut briguer un nouveau mandat, aucun candidat crédible ne peut émerger dans son propre parti. Le Parti démocrate n’aura donc pas en 1996 à passer par des élections primaires pour désigner son candidat.

Du côté républicain, la partie est plus confuse, mais assez vite jouée. Le très populaire général Powell annonce dès novembre 1995 qu’il n’est pas fait pour la politique. La voie est dès lors ouverte à Bob Dole, leader de la majorité républicaine au Sénat, auquel s’opposent dans les primaires, à partir de février 1996, Pat Buchanan, qui incarne l’aile la plus conservatrice du Parti républicain, et Steve Forbes, magnat de la presse. Contre l’extrémisme de Buchanan et le simplisme de Forbes, Dole l’emporte, et dès mars il reste seul en lice.

Le président Clinton ne pouvait rêver d’une meilleure situation. Incarnant la force et l’énergie de la jeunesse, il affronte un héros de la Seconde Guerre mondiale... Bob Dole n’est pas à l’aise devant les caméras de la télévision, il ne sait ni se servir des sondages ni organiser son état-major. Gêné par le programme adopté par le congrès du Parti républicain, il déclare qu’il n’a pas eu le temps de le lire; il se déjuge gravement en adoptant comme thème principal de campagne une réduction de 15 p. 100 des impôts, alors qu’au Sénat il s’est toujours opposé à de telles mesures simplistes et démagogiques. Il affirme que l’économie américaine va très mal, au moment même où la plupart des Américains prennent conscience qu’elle va plutôt bien. Il fait appel aux valeurs de sa jeunesse, celles des petites villes des années 1930, alors que Clinton ne cesse de parler du XXIe siècle. Membre éminent de l’establishment , il dit vouloir le combattre.

De son côté, tout au long de la campagne, Bill Clinton fait comme si son véritable adversaire était en réalité le conservateur extrémiste Newt Gingrich. Il se présente comme un modéré à qui quatre ans à la tête des États-Unis ont donné l’expérience indispensable; il défend les mères de famille, les jeunes, les faibles, les retraités; il s’engage à chercher des solutions de compromis. Dans une campagne plus coûteuse que jamais, il a sur Bob Dole l’avantage de n’avoir pas dû supporter le coût des élections primaires et de bénéficier indirectement, donc hors des limites imposées par la loi, du soutien massif des syndicats. Les révélations concernant des contributions illégales reçues de l’étranger arrivent trop tard pour lui nuire. Et Dole ne se résout pas à attaquer le président sur sa personnalité, sur les «affaires» qui remontent à la période où il était gouverneur de l’Arkansas, sur les libertés qu’il a prises avec la fidélité conjugale. De toute manière, les sondages le montrent, si la majorité des Américains ne considèrent pas le président Clinton comme «honnête», ils n’en concluent pas qu’il est inapte à l’exercice du pouvoir suprême.

Comme en 1992, Ross Perot entre dans la course, en juillet. Les sondages lui donnant constamment moins de 10 p. 100 de voix, ni Clinton ni Dole ne prêtent vraiment attention au milliardaire texan. Rien n’interdit à un candidat de puiser sans limite dans sa propre fortune, mais cela n’y change rien: cette fois Perot n’est tout simplement pas crédible. Le 5 novembre au soir, les prévisions fondées sur les sondages se révèlent justes: Clinton est réélu avec une avance confortable, mais le Sénat et la Chambre des représentants resteront aux mains des républicains. Tout se passe comme si les électeurs estimaient que la «cohabitation» n’est pas mauvaise et avaient choisi de la reconduire.

Les résultats

Après 1994, les républicains avaient rêvé de gagner en 1996 à la fois le Congrès et la présidence, et d’ouvrir ainsi une ère républicaine comparable à l’ère démocrate inaugurée par le New Deal (1933). Espoir déçu: les voix de Bill Clinton passent de 43 p. 100 en 1992 à 49,5 p. 100 en 1996. Bob Dole n’a obtenu que 41 p. 100 des voix, contre 38 p. 100 à Bush en 1992; Ross Perot 8 p. 100 des voix, contre 19 p. 100 en 1992. Dans le système américain d’élection indirecte du président, chacun des cinquante États fédérés dispose d’un nombre de grands électeurs égal à la somme de ses représentants et de ses sénateurs. Les électeurs de chaque État votent en bloc, en décembre, pour le candidat qui a remporté la victoire dans leur État. Perot n’a triomphé dans aucun; Dole a gagné dans dix-huit États, Clinton dans trente-deux, auxquels s’ajoute le district fédéral (Washington). Au sein du collège électoral (grands électeurs), on comptait, en janvier 1997, lors de la proclamation des résultats, 379 suffrages pour Clinton et 159 seulement pour Dole.

La carte électorale montre que Bob Dole n’a triomphé que dans six États du «Vieux Sud», où le Parti républicain a progressivement remplacé, comme force conservatrice, les démocrates conservateurs; au Texas, qui vote républicain aux élections présidentielles depuis 1980, et dans certains États du Middle West et des Rocheuses. Bill Clinton l’a emporté en Floride, État qui votait pourtant républicain depuis 1980, comme le Texas; à nouveau en Californie, comme en 1992, alors que cet État avait voté républicain depuis 1952, sauf en 1960; en Louisiane, dans tous les États de la Nouvelle-Angleterre, dans beaucoup d’États du Middle West et de l’Ouest. L’Amérique prospère et dynamique a voté dans l’ensemble pour le président sortant, comme l’ont fait les retraités de Floride, sensibles au fait qu’il soutienne leurs allocations garanties par l’État fédéral.

Les sondages «sortie des urnes» montrent que si le vote masculin se répartit de façon égale entre les deux candidats, le vote féminin fait apparaître une différence exceptionnellement forte: 54 p. 100 de voix pour Clinton, 38 p. 100 seulement pour Dole. Sans doute les femmes ont-elles été sensibles à l’accent mis par Clinton sur des problèmes tels que la qualité de l’enseignement, et à son projet d’instituer un congé parental; beaucoup ont sans doute estimé que Dole n’avait pas assez combattu au sein du Parti républicain les adversaires farouches du droit à l’avortement, alors même qu’il s’était prononcé pour une attitude plus compréhensive. Dans d’autres catégories de l’électorat, les résultats sont sans surprise: les Noirs ont continué à soutenir massivement le candidat démocrate (83 p. 100, contre 12 p. 100 au candidat républicain) comme l’ont fait, dans des proportions moindres, les jeunes, les électeurs de plus de soixante-cinq ans, ceux qui ont un revenu annuel inférieur à 75 000 dollars (environ 380 000 francs). La faiblesse de la participation électorale (à peine 49 p. 100) montre que, pour la moitié des électeurs potentiels, l’affrontement ne présentait qu’un faible intérêt ou que, le résultat étant considéré comme acquis, il n’était pas nécessaire d’aller voter.

Aux élections législatives, en revanche, les républicains conservent la majorité: ils ont désormais 55 sièges sur 100 au Sénat (au lieu de 53) et 221 sur 435 à la Chambre des représentants (au lieu de 235). Dans les onze élections aux postes de gouverneur, chacun des partis gagne un État sur l’autre: le rapport de forces demeure inchangé.

La logique constitutionnelle de la séparation des pouvoirs impose en principe une collaboration entre l’exécutif et le Congrès; il reste à voir si cette logique l’emportera, ou si l’un des deux partenaires estimera qu’une situation d’affrontement analogue à celle de 1995 est plus conforme à ses intérêts.

Encyclopédie Universelle. 2012.

Игры ⚽ Нужно сделать НИР?

Regardez d'autres dictionnaires:

  • ÉTATS-UNIS - Les élections de 1994 — États Unis: 1994, la déroute démocrate Les élections législatives de novembre 1994 ont été, pour les démocrates, plus qu’une défaite, une débâcle. Jamais, depuis la guerre civile, un speaker (président de la Chambre) n’avait été battu; jamais,… …   Encyclopédie Universelle

  • ÉTATS-UNIS - Histoire — L’histoire des États Unis est celle de l’ascension extrêmement rapide de colonies sous domination anglaise au stade de grande puissance mondiale. Les premiers colons débarquent en Virginie au XVIIe siècle, leurs descendants obtiennent leur… …   Encyclopédie Universelle

  • Bill Clinton — Pour les articles homonymes, voir Bill Clinton (homonymie). Bill Clinton Mandats …   Wikipédia en Français

  • Election presidentielle des Etats-Unis d'Amerique 1992 — Élection présidentielle américaine de 1992 Article principal : Liste des résultats des élections présidentielles américaines. Le collège électoral en 1992. L élection présidentielle américaine de 1992 a lieu dans une période de fort… …   Wikipédia en Français

  • Élection présidentielle des États-Unis d'Amérique 1992 — Élection présidentielle américaine de 1992 Article principal : Liste des résultats des élections présidentielles américaines. Le collège électoral en 1992. L élection présidentielle américaine de 1992 a lieu dans une période de fort… …   Wikipédia en Français

  • Élection présidentielle des états-unis d'amérique 1992 — Élection présidentielle américaine de 1992 Article principal : Liste des résultats des élections présidentielles américaines. Le collège électoral en 1992. L élection présidentielle américaine de 1992 a lieu dans une période de fort… …   Wikipédia en Français

  • Chronologie De L'histoire Des États-Unis D'Amérique — Chronologie des États Unis Histoire des États Unis Civilisations précolombiennes …   Wikipédia en Français

  • Chronologie de l'histoire des Etats-Unis d'Amerique — Chronologie des États Unis Histoire des États Unis Civilisations précolombiennes …   Wikipédia en Français

  • Chronologie de l'histoire des États-Unis d'Amérique — Chronologie des États Unis Histoire des États Unis Civilisations précolombiennes …   Wikipédia en Français

  • Chronologie de l'histoire des états-unis d'amérique — Chronologie des États Unis Histoire des États Unis Civilisations précolombiennes …   Wikipédia en Français

Share the article and excerpts

Direct link
Do a right-click on the link above
and select “Copy Link”